De nouvelles thérapies de précision efficaces en développement à l’IRCM
Au sein de l'IRCM, le Dr André Veillette, directeur de l'Unité de recherche en oncologie moléculaire, s'efforce de comprendre en profondeur le rôle du système immunitaire dans le déclenchement, la progression, ou à l'opposé, le contrôle de maladies telles que le cancer. En tant qu'oncologue de formation et chercheur fondamental tout au long de sa carrière, il est convaincu que la personnalisation des approches, allant de la recherche fondamentale à la pratique clinique, permettra de développer et d’appliquer les meilleures thérapies pour lutter contre le cancer.
Ses travaux récents, particulièrement innovants, présentent un potentiel significatif pour de nouvelles thérapies de précision ciblant cette maladie.
Dr Veillette, parlez-nous de vos travaux de recherche, et spécifiquement, des aspects touchant la médecine de précision.
Depuis le début de ma carrière en médecine, il y a 40 ans, j’ai toujours souhaité comprendre comment le corps humain fonctionne et comment les maladies se développent. Oncologue de formation, j’ai donc pendant longtemps aussi cherché à comprendre comment le système immunitaire normal fonctionne, comment il est altéré dans les cas de cancer, et comment on peut réactiver ce système immunitaire endormi chez les personnes ayant des cancers, afin de mieux les combattre.
Cela implique de se pencher sur les mécanismes de fonctionnement normaux de l’organisme, mais aussi les mécanismes anormaux qui causent les maladies.
Dans les dernières décennies, la connaissance dans ce champ de recherche s’est améliorée de manière significative. Ainsi, dans les 15 dernières années, la communauté scientifique a su développer de nouveaux traitements personnalisés qui permettent de mieux combattre le cancer en agissant sur la capacité du système immunitaire à se défendre.
Dans notre laboratoire à l’IRCM, nous avons surtout fait de la recherche fondamentale, pertinente au fonctionnement normal du corps humain, mais aussi au développement des cancers et des maladies du système immunitaire.
C’est durant la pandémie, alors que le fonctionnement de nos laboratoires était au ralenti, que l’occasion s’est présentée pour nous d’explorer et de développer des thérapies de précision novatrices.
Parlez-nous de vos nouveaux travaux en thérapies de précision avec les anticorps monoclonaux.
Le milieu scientifique connait de plus en plus les altérations génétiques ou immunitaires propres à certains cancers. Ainsi, pour des patients atteints de ces cancers, des traitements très efficaces tels que les « thérapies ciblées » et l’immunothérapie sont disponibles. Malheureusement, nombreux sont les cas de cancer pour lesquels il n’existe pas encore de traitements efficaces.
En nous concentrant sur le système immunitaire, nous avons pensé qu’il y aurait moyen de développer de nouvelles thérapies basées sur de nouvelles connaissances que nous avons développées dans notre laboratoire. C’est ainsi que nous avons créé de nouveaux anticorps monoclonaux qui ciblent de façon unique une molécule du système immunitaire nommée SLAMF7 afin d’augmenter la capacité à combattre certains cancers tels les myélomes multiples et les lymphomes.
Nous avons été en mesure de déposer des demandes de brevets pour ces anticorps monoclonaux. Nous en sommes maintenant à accumuler les évidences précliniques qui précèdent les études chez les patients et les patientes. La prochaine étape est soit de convaincre des compagnies pharmaceutiques ou biotechnologiques d'investir dans notre projet, soit de développer notre propre compagnie qui permettrait d’obtenir les fonds nécessaires pour amener le tout à maturation.
On parle donc ici de nouvelles thérapies de précision qui ciblent le système immunitaire chez les patients et patientes qui présentent des anomalies reconnues par ces anticorps.
Quels sont les principaux obstacles pour enfin parvenir à guérir les cancers?
Comme spécifié au préalable, dans beaucoup de cas, il nous manque cruellement d’information sur les types et les sous-types de cancers que les personnes développent. L’accès à cette information peut varier selon des facteurs socioéconomiques, démographiques ou même géographiques. Or, le fait de caractériser au maximum un cancer est précisément ce qui permet d’identifier ses caractéristiques propres, et d’arriver à un diagnostic précis et complet, deux aspects essentiels à une prise en charge personnalisée.
Par ailleurs, même quand un cancer est parfaitement caractérisé, nous n’avons pas encore forcément identifié de traitement spécifique pour répondre aux altérations trouvées. Par exemple, plusieurs traitements très efficaces tels que les anticorps monoclonaux, les cellules CAR-T, ou les inhibiteurs de kinases, ont eu des impacts incroyables. Mais, ils ne s’appliquent qu’à un petit groupe de gens atteints de types très spécifiques de cancer.
En résumé, plus nous avancerons dans le séquençage des génomes des différents cancers, et plus nous serons en mesure de caractériser les cellules immunitaires qui les infiltrent, plus nous serons en mesure de travailler sur des solutions possibles et développer de nouveaux traitements qui n'existent pas encore aujourd'hui.
La recherche fondamentale a un rôle essentiel pour nous permettre de passer des recherches de précision, aux diagnostics de précision, et jusqu’aux thérapies de précision.
Vous envisagez une plateforme pour rendre cette avenue accessible à la communauté scientifique. Parlez-nous-en.
Nous avons récemment obtenu une subvention du Fonds canadien de l’innovation pour nous permettre d’établir une plateforme d’anticorps monoclonaux qui sera accessible aux collègues des laboratoires de l’IRCM, mais aussi à d’autres équipes de recherche au Canada. Cette plateforme permettra de développer de nouveaux anticorps monoclonaux comme agents thérapeutiques pour les maladies humaines telles que le cancer.
Il y a encore beaucoup d’anticorps monoclonaux à découvrir. Plus nous serons nombreux à y travailler, plus rapides seront les avancées qui redonneront de l’espoir face à la maladie.
Cela nous amène à l’importance de la collaboration et au rôle des plateaux technologiques comme partenaire majeur de la science.
Dans un milieu de recherche, les plateaux technologiques ou plateformes représentent un avantage indéniable, et c’est particulièrement le cas de ceux de l’IRCM qui ont des expertises comme la cytofluorométrie, la génomique, la microscopie, les modèles animaux, etc. La disponibilité de ces plateaux technologiques de haute gamme gérés par des collègues très compétents est un atout extraordinaire pour nous permettre d’accélérer nos travaux, de tester nos idées et d’obtenir des résultats fiables.
C’est dans ce même esprit que nous aimerions développer une nouvelle plateforme à l’IRCM pour permettre aux chercheurs et chercheuses qui le souhaitent de développer eux aussi des anticorps à visée thérapeutique.
En recherche, le partage d’expertise et de connaissance est une valeur sûre pour accélérer les avancées.
L’IRCM mise, depuis quelque temps, sur le développement de la recherche sur la médecine de précision.
Qu’est-ce que cela signifie pour vous, qui êtes à l’Institut depuis plusieurs années?
Je trouve cela très enthousiasmant, car il y a un dynamisme palpable au sein de l’Institut grâce à des collègues très compétents dans des domaines en pleine évolution, même si la situation économique en ce moment complique le financement de la recherche.
L’enjeu, lorsque nous faisons une découverte, est de pouvoir l’acheminer le plus loin possible vers des applications cliniques, en impliquant des acteurs capables de faire mûrir notre découverte sous la forme d’une thérapie. C’est une étape particulièrement difficile, car elle nécessite une expertise et un financement considérables ainsi qu’une mobilisation multisectorielle significative.
Cependant, je crois qu'il faut persévérer en gardant à l’esprit que les traitements de demain émergeront de la recherche fondamentale d’aujourd’hui. Nous sommes encore loin d'avoir découvert tous les traitements nécessaires pour traiter toutes les maladies humaines incluant le cancer, et il est crucial de continuer à explorer et à découvrir, mais aussi à sensibiliser le public, les gouvernements et le secteur de la philanthropie de l’importance d’un financement accru de la recherche fondamentale.
Chacun a un rôle à jouer.